HISTOIRE DE LA LAMPE A SOUDER

 

La lampe à souder ne date pas d'hier et son histoire débute il y a plus de deux siècles, en France, à une époque où cette invention fut certainement considérée comme une vraie "révolution".

Plus précisément, c'est en 1799 - dix ans après la prise de la Bastille - qu'un Français fit breveter ce qui pourrait s'apparenter à la première lampe à souder.

Nous y reviendrons plus en détail, car plus tôt, on cherchait déjà à assembler entre eux deux morceaux de métal.

Mais il faut, pour en parler, remonter plus avant dans l'histoire du monde.

L'invention de la métallurgie

La métallurgie ayant été inventée avant l'écriture, nous ne saurons sans doute jamais qui, le premier, sut utiliser l'or ou le cuivre naturel.

Il semble que cette découverte remonte au Xe millénaire avant J.-C. ! Au Ve millénaire, on savait déjà marteler et fabriquer à chaud parures et outils de la Chine au Caucase.

C'est sans doute par accident qu'un homme réussit à fondre du cuivre et de l'étain pour obtenir un métal plus rigide : le bronze.

C'est ainsi que débuta, vers 3500 avant J.-C., le célèbre Age de bronze, qui succéda d'ailleurs au non moins célèbre Age de la Pierre Taillée. Rappelons-nous ces

quelques (lointains) souvenirs scolaires... L'apparition du fer est plus tardive (1200 avant J.-C.) et correspond curieusement à une période de décadence.

La simplicité n'étant pas une caractéristique principale de la nature humaine, on chercha très vite la complication : réunir par la fusion deux pièces d'un métal identique ou différent. Histoire (heureusement condensée) du brasage.

Parmi les procédés employés par l'homme pour assembler entre elles des pièces métalliques, le brasage est certainement le plus ancien de tous.

Connu dès la plus haute antiquité, le brasage servait surtout à fabriquer des bijoux ou des ornements généralement en métaux précieux. Ces bijoux et ornements étant principalement destinés aux femmes, c'est certainement grâce à vous, Mesdames, que cette technique put progresser plus rapidement...

Et c'est ainsi que l'emploi du brasage a été constaté sur des vases, des coupes et des bijoux en alliage d'or et de cuivre, datant de l'an 3200 avant notre ère.

Le brasage pratiqué par les Phéniciens, les Chinois et peut-être par les Indiens, comportait déjà une connaissance remarquable du rôle des flux et des métaux d'apport. Rappelons que ces éléments empêchent l'oxydation au moment du brasage.

Chez les Romains, le brasage des métaux précieux se faisait en utilisant comme flux un mélange de carbonate de cuivre, de nitre, et d'urine(!). La fusion était obtenue en soufflant avec de rudimentaires chalumeaux dont l'extrémité était garnie d'une buse en argile cuite.

L'historien latin Pline fait allusion au soudage à l'étain qui paraît avoir été d'usage courant à son époque (1er siècle de notre ère).

Au Moyen Age, le fer des armes et armures était brasé au moyen d'un alliage cuivre-étain utilisé comme métal d'apport. Les exemples jalonnant ces cinq mille ans ne manquent pas, et si l'évolution fut lente, la maîtrise du soudage ne cesse de croître. Progressivement, les applications concrètes dues à cette technique modifièrent radicalement et positivement la façon de vivre de nos ancêtres.

De même aujourd'hui, essayons d'imaginer quel serait notre monde si nous ne savions ni fondre ni assembler le métal. Certes, nous réussirions à vivre, bien sûr, mais les automobiles n'auraient pas la même allure, tous les navires seraient de bois ou de plastique, même la tour Eiffel ne serait pas ce qu'elle est (les 1 050 846 rivets qui la composent sont en effet soudés par un procédé appelé "martelés au blanc soudant") et surtout de quoi seraient remplies nos étagères...

Juste un petit résumé : quelques têtes pensantes ont donc inventé, il y a fort longtemps, la métallurgie et le brasage. Cette courte phrase résume en fait quelque cinquante siècles durant lesquels, à force de tâtonnements, furent mises au point ces deux techniques primordiales.

Le plus dur était fait !

De son côté, la métallurgie continua sa carrière dans les fours, les forges et les hauts fourneaux...

Côté soudage, on s'attacha ensuite à créer des outils permettant d'effectuer cette opération d'une manière plus adaptée.

Depuis l'Antiquité, le soudage était utilisé à la forge, on conviendra qu'il n'est pas toujours aisé de transporter sa forge sur les chantiers...

On maîtrisait à peu près correctement les matériaux, même si ceux-ci étaient alors très rudimentaires. Il restait à mettre au point ce qui fournirait la source de chaleur nécessaire à la chauffe des pièces à assembler, du métal d'apport et dans la plupart des cas, des fers à souder. A ce propos, il est curieux de constater que ce que l'on a toujours appelé un "fer", est constitué, non pas de fer ni d'acier, mais de cuivre...

Encore maintenant, les pannes de nos fers de couvreur sont bel et bien en cuivre, même si l'on pense aujourd'hui au laiton pour le remplacer.

Fermons la parenthèse et revenons à notre source de chaleur qui se doit de réunir à la fois les caractéristiques suivantes : haute température, débit continu, orientation possible dans tous les sens, grande maniabilité et sécurité. Ces critères sont encore au goût du jour et constituent un véritable casse-tête pour tous les techniciens de bureaux d'études qui sont chargés de respecter ces caractéristiques en y ajoutant des contraintes - bassement matérialistes ! - de valeur et de coût...

Comment soudait-on sur un chantier au XVIIe siècle ?

L'emploi exclusif de soudure fondue nécessitait d'utiliser un foyer ou brasero, encombrant et malcommode, mis en place à demeure sur le lieu des travaux. Il s'agissait d'une sorte de marmite chauffée au charbon, servant à la fois à la fusion de la soudure et au réchauffage des fers, un ou plusieurs aides étant chargés de ce travail. Le résultat était sans nul doute excellent, mais les exigences d'une industrie plus moderne s'accommodaient mal de telles méthodes. Il devint vraiment nécessaire d'inventer un instrument portatif et efficace...

On se creusa donc la tête pour inventer quelque chose de plus pratique : un outil portatif, simple, léger, efficace et sûr. On constate d'ailleurs que deux cents ans plus tard, ces critères n'ont toujours pas changé...

Comme souvent, l'idée vint d'un Français, Parisien et homme de lettres, le citoyen Théodore Pierre Bertin.

Ce fut lui qui, le premier, déposa un brevet que l'on peut consulter à l'INPI de Paris, enregistré sous le numéro 22/383 à 407.

C'était le 6 Vendémiaire de l'An Huit , environ dix ans après la révolution. Le XVIIIe siècle touchait à sa fin, et l'on commençait à peine à s'habituer à cette nouvelle France, où les bonnets phrygiens avaient remplacé les fleurs de lys, les Sans-culottes et les perruques poudrées...

Son invention porte le nom barbare de "Lampe docimastique ou Fontaine de feu" et fonctionnait à l'esprit de vin.

Les caractéristiques essentielles de la lampe à souder se retrouvent déjà dans cet appareil, et sans entrer les détails techniques de son fonctionnement, on peut en retenir certains aspects.

La présence, par exemple, d'une soupape de sécurité, la possibilité d'interchanger le brûleur (oblique ou horizontal), la capacité de mettre le cuivre en fusion, de souder des métaux ou de travailler le verre, montrent clairement que le citoyen Bertin était bien le précurseur éclairé que l'on attendait.

Les orfèvres, joailliers, émailleurs ou "souffleurs de fausses perles" utilisaient déjà des outils à flamme, mais leurs performances d'alors étaient nettement insuffisantes pour les travaux d'industrie et de chantiers. Les potiers d'étain, par exemple, utilisaient un chalumeau à bouche qui consistait à projeter le dard d'une flamme par un mince filet d'air "soufflé" par un tuyau. Cet instrument leur servait, entre autres, à l'exécution de soudures délicates sur la vaissellerie. De même, le chalumeau à bouche était fort bien adapté à l'ouvrage très précis de l'horloger et du bijoutier.

La fameuse invention du citoyen Bertin bouleversa le paysage industriel de ce XIXe siècle naissant. Grâce à lui, l'outil à flamme devint enfin portable et même s'il nous est aujourd'hui difficile d'apprécier cette invention à sa juste valeur, une telle innovation révolutionna certainement le métier des plombiers, fontainiers et autres couvreurs de l'époque. Cette période trouble était propice aux changements, ainsi le citoyen Bertin redevint le sieur Bertin, et son appareil, lui aussi, changea d'appellation. On prit alors l'habitude de le nommer "EOLIPYLE" , mais d'où diable vient donc ce terme si rébarbatif ?

Il ne date pas d'hier puisqu'il faut remonter au IIe siècle avant J.-C. pour qu'un mathématicien grec, Héron d'Alexandrie, construise le premier éolipyle (Eole : dieu du vent, pyle : je donne ; traduction littérale : qui donne du vent, ce qui est à la portée de chacun d'entre nous...).

Ce n'était alors qu'une sphère emplie d'eau que l'on mettait à bouillir. La vapeur produite, s'échappant par des orifices, faisait ainsi tourner le récipient.

Le principe est assez simple et fut donc appliqué à l'outil servant à souder. Sa forme bien sûr, évolua, il perdit en esthétique ce qu'il gagna en commodité. Il devint plus compact et plus solide.

 

Voir en annexe 1 un petit descriptif technique.

      

 

L'éolipyle eut une longue carrière. On le découvre vers 1850 dans certains brevets et il disparaît dans les pages des catalogues Manufrance vers 1925.

Sa simplicité et son faible coût ont contribué à son exceptionnelle longévité. Il fut fabriqué dans six tailles différentes, en tôle, cuivre ou laiton, avec un corps cylindrique ou tronconique. Nous, collectionneurs, l'appelons "Lampe Napoléon" et le recherchons avidement, aujourd'hui son prix est très variable et dépend évidemment de ses spécificités et sa rareté."

 On peut donc le trouver à tous les prix, et il est toujours bon de relativiser la "valeur" toute théorique de ces objets... Mais il fut grandement concurrencé, et même détrôné, par une lampe à souder plus moderne, celle que nos grands-pères connaissait, celle que vous avez tous vue dans un grenier ou sur une brocante.

Un premier pas était donc franchi mais il en fallut beaucoup d'autres pour en arriver à la lampe à souder dite "moderne", celle qui, avec toutes ses sœurs, encombrent nos étagères...

Comme vous l'avez peut-être, vous-même constaté, la documentation se fait rare, surtout celle datant d'un siècle ou deux ! Pour compenser cette lacune, les brevets, déposés en France ou à l'étranger, peuvent nous aider. Mais attention, un brevet n'implique pas nécessairement une fabrication, qu'elle soit de grande série ou quasi unitaire. Ils nous permettent toutefois de suivre l'évolution technique de la lampe à souder.

Je n'ai pas connaissance de brevet de ce type paru en France ou ailleurs, pendant les trois décennies suivant celui de BERTIN. Il y avait peut-être d'autres chats à fouetter à cette époque très mouvementée qui vit se succéder le Consulat, l'Empire et la Restauration. C'est en 1832, le 31 mars, que Sulpice Christophe BREUZIN s'intéressa à un éolipyle à jet vertical, fonctionnant à l'esprit de vin. On le retrouve en 1835 avec une lampe dite "Auto-Gazogène", tout un programme... Nous noterons que ce Monsieur BREUZIN n'est autre que le père d'Alfred BREUZIN, qui fera parler de lui 30 ans plus tard.

Mais ne brûlons pas les étapes et revenons à l'époque qui voit naître enfin cette Révolution Industrielle tant attendue, celle ou Louis Philippe 1er devient le "roi - citoyen".

L'éolipyle se perfectionne grâce à Maurice Antoine DUNAND qui, le 19 avril 1844, présente un appareil qui semble relativement pratique et efficace.

Pour la petite histoire ceux qui assistaient en mars 2000 à la 5ème réunion internationale de Mouscron ont VU fonctionner cet éolypile ! Il ne s'agissait malheureusement que d'une réplique fabriquée par un ancien collectionneur, mais l'effet n'en fut pas moins très saisissant !

Puis, le 17 juillet 1847, le sieur TALLOIS Jean-Baptiste Sévère dépose un brevet concernant une "lampe propre à souder les métaux".

On le voit ici le nom "éolipyle" a disparu et on constate, au vu du dessin (voir annexe 2), qu'un brûleur est apparu, un pas de plus vers la lampe à souder dite "moderne".

Si l'on veut respecter la chronologie des brevets, il faut maintenant quitter la France et se tourner vers les États-Unis. États plus ou moins unis, d'ailleurs, puisqu'en 1856 la Guerre de Sécession couve mais n'empêche pas un certain Oliver L. LAWSON d'apporter des améliorations à l'équivalent américain de notre éolipyle, la "blow-pipe". Dans son brevet, daté du 13 mai de cette année, il fait référence à d'autres appareils, similaires et antérieurs au sien. On ignore malheureusement quels sont-ils et de quand datent-ils. Sa lampe à souder est dotée de perfectionnements intéressants tels que soupape de sûreté et réglage de flamme.

Le brevet suivant, déposé en 1866, nous vient de Russie, un pays qui, à cette époque, était au summum de sa puissance, les temps changent... Son auteur, SCHNAKOFSKY, décrit une lampe à souder avec brûleur situé au-dessus du réservoir. Pas à pas, nous avançons...

Retournons au États-Unis qui se sont reconstitués depuis, pour s'intéresser aux éolipyles de W.W. WAKEMAN Jr (11 juin 1867) et Geo WANIER (3 décembre 1867). Les appareils qu'ils ont conçus tous les deux sont presque identiques, utilisant le même principe de canalisation extérieure. On retrouve cette construction sur les éolipyles H.G. (Henri GAUTREAU, plus connu pour ses petits réchauds en verre). Plus tard et jusqu'aux années 20, la canalisation sera interne, et débouchera sous le réservoir supérieur, rendant l'éolipyle plus compact.

Beaucoup de nouveaux brevets, issus de divers pays, seront déposés pendant la décennie suivante et définiront ainsi la forme définitive de l'éolipyle. Leur énumération deviendrait fastidieuse s'il fallait les citer tous, mais chacun d'entre eux apportait sa pierre à l'édifice, des deux côtés de l'Atlantique et d'un bout à l'autre de l'Europe, et enfin, de partout , l'outil à flamme progressait, lentement mais sûrement...

 

 

 

 

Annexe 1

Un récipient (A) rempli d'alcool est chauffé par un petit réchaud à mèche (B). Un tube (a) partant du récipient supérieur débouche au-dessus de la flamme du réchaud. L'ensemble de l'appareil est enfermé dans un boîtier métallique (C) équipé de poignées (b), lui donnant l'apparence d'une ancienne lanterne.

L'alcool chauffé se transforme en vapeur et s'échappe du tube (a). Au contact de l'air et de la flamme du réchaud, le jet de vapeur s'enflamme, produisant une chaleur forte, ou qui, du moins,semblait l'être pour l'époque.

 

 

Annexe 2